WARDA !
ou la voix de l’autre

     

 

LE DÉSERT EST BEAU, NE MENT PAS, IL EST PROPRE.

Théodore Monod

Aux enfants de la désobéissance de Tunisie et d'ailleurs,

A Mohamed Bouazizi...

A Laka ! Où qu’elle soit !

       


             

 

Dans les prisons...
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Table des matières
Mercis

Prologue

Sales petits
voleurs
de bonheur !

Talonchemin

Zib !Zoub zoub, zoub !

La vie est belle ! Mais je la connais...

La porte qui t'a vue venir

Thézame
4 ème de couv
   

 

                           
           

 

 

 


Chapitre II
Talon chemin





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13. Le chant de Musta

« MUSTAPHA BEN MANSOUR ! »

Aussi vrai que je m’appelle Mustapha Ben Mansour…
J’étais heureux !
Tellement heureux d’avoir rencontré Warda…
D’avoir pu respirer ses cheveux…

Une petite fois ou deux. Peut-être trois…
En dansant avec elle… En riant sous ses voiles…
Dans le désert, autour du feu.

Mon bonheur aurait pu s’arrêter. Là… Mais il a continué.
Il fallait qu’il continue avec… Ou sans Warda.

- Demain, Lazarek… Demain, je l’embrasserai !
- Attends, Musta ! Attends ! Ne sois pas si pressé
de prendre ce qui n’est pas à toi…
- Ce qui n’est pas à moi ? Mon coeur à moi…
Il sait bien ce qui est pour lui !
Et quand mon coeur bat, il n’attend pas !
Quand un coup frappe dans ma poitrine,
l’autre n’attend pas ! Il ne peut pas…
- Attends, Musta ! Attends un peu, je te dis… Juste un peu !
- On peut rien faire quand le coeur bat vite…
Il faut le suivre. C’est bien comme ça…
- Ton coeur ? Mon cul, oui !
- Oui, mon coeur ! Et mon cul aussi ! Lazarek !
Si tu veux savoir ! Mon coeur ! Et mon corps tout
entier… Zobi ! Il est dressé, Lazarek !
Il est debout ! Je suis vivant ! C’est pour Warda !
- N’importe quoi, Mustapha ! Va te coucher,
d’ailleurs moi j’y vais… C’est mieux, je crois.
- Couché ? Moi ? Impossible !
Je ne vais pas pouvoir dormir…
Si je ne l’embrasse pas…

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28


J’étais resté là…
Droit !

La main en bonne place.
Sur le coeur.
Droit !

Aussi droit que m’avait fixé Lazarek !
Entre les jambes ! Et dans les yeux !
Quatre ou cinq fois...
Avant de me poser cette question :

- Dans les longues marches, Musta ?
Qu’est-ce que tu préfères ?
- Quoi, qu’est-ce que je préfère ?
- Oui, tu préfères quoi ?
Le début, le milieu ou la fin ?
J’avais réfléchi un moment. Trop content.
Assurément de me sentir intelligent.
Enfin, j’avais répondu :
- La marche, Lazarek !
Je préfère la marche !
- C’est bien ce que je pense, Musta…
Si c’est vraiment ce que tu crois,
je peux aller dormir en paix maintenant.
- Naham, naham…
Tu m’embrouilles, Lazarek.
Avec toi, on ne sait pas toujours très bien... En quoi on croit.
Bonne nuit, mon ami...
A demain ! Prie pour moi…
- Bonne nuit, Musta !

Musta - Zobi était allé se coucher…
Entre mes jambes épuisées.
Mais Musta - Mon coeur était resté…
Debout !
Jusqu’au lendemain matin.

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14. Le chant de l’Étrangère

QUAND UN GARCON VOULAIT...

Embrasser une fille,
Là où j’étais petite, autrefois, il demandait :
« Est-ce que tu veux marcher avec moi ? »
Si c’était « oui ! »,
Leurs deux ombres marchaient tranquilles,
Le long d’une grand rue qui portait leurs noms.
Jusqu’à la prochaine fois.

Comment font les chameliers pour se retrouver dans
les rues sans nom du grand horizon ?
Oui c’est vrai, comment ils font ?
Ali, Djemel ? Et Musta ?
Toujours pieds nus.
Jamais perdus. Visiblement.

Sauf que Musta n’a rien mangé ce matin…
Il est parti marcher seul en tête avec Lazarek,
le chameau dominant… Pardon !
« Dromadaire », il a dit qu’il faut dire, Lazarek.
il préfère… « Dromadaire ! »

Le dromadaire marche
devant ses frères dromadaires…
Chargés d’eau. Et d’électricité…

Avec Warda. Près du convoi.

Une pause sanglage. Et Warda disparaît.
Une pause jonglage… Avec les mots.
Et Warda réapparaît…
Soeur de lait, de silence et d’huile…

Yallah ! Allez ! On y va…

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15. Le chant de Musta


LORSQUE RETENTIT LE SILENCE.

Chaque son devient plus simple.
Plus plein. Plus dense.
J’aime le retour du silence.
Aussi vrai que j’aime danser, chanter…
Faire le pain.

Dans le silence.
Plus simple, plus plein, plus dense.
La mouche chuchote...
Au creux de l’oreille de la gazelle.

Le fil de l’eau creuse les tympans.
Le vent rêve de tempête.
Ma main caresse..
Le ventre d’une femme…

Et le cri !
Le cri de Lazarek.

Chargé. Sanglé.
Etranglé.

Son cri s’étouffe.
Quand vient l’heure de de l’étouffer.
De l’arnarcher.
Le fer aux dents.
Le mors dans la bouche.

- Comme j’ai envie de sa bouche, Lazarek…
Moins elle parle, plus ma langue la comprend…
- Je comprends, Musta mon petit...
Je comprends. Elle donne soif cette femme…
Même un peu trop.

Et pendant tout ce temps…

Moi…
Je porte son eau !

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- Tu ne comprends pas, Lazarek…
Les Françaises ! Les Françaises…
C’est différent ! TTTTT !
C’est bon d’embrasser une femme française !
Sur la bouche, Lazarek… TTTTT…
Comme ça ! Avec la langue…
Le sucre ! Le miel ! L’eau !
De la langue ! Rouge !
- Bouah !
Musta, faut avoir envie, quand même !
- Envie ?
Mais je n’ai envie que de ça ! Avec Warda…
- Warda ! Warda… Warda !
C’est quelque chose, ta rose...
Mais pas une chose !
Ni une corne de gazelle !
C’est une fleur de vent.
De désert et des sables…
Une rose des sables...
Ta fleur, Musta !
Tu vas t’y couper...

Je n’écoutais plus Lazarek.
Ses mots étaient sourds.
Je ne voyais plus mes amis.
Mes paupières étaient lourdes.

J’avais soif !
Aussi soif qu’aujourd’hui…
Soif de cette fleur de sang.

Qui ne veut pas sécher.

- Warda, Warda !
- Quoi, Musta ?
- Moi soif, Warda !
- …
- Moi soif de toi !

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16. Le chant de l’Étrangère

ILS COMPRENNENT SANS LA PARLER…

La langue du vent
Les chameliers.

Ils gardent la peau.
Ils gardent les os.

Ils gardent la peau.
Ils gardent les os.

Ils gardent la peau.
Ils gardent les os.

Serrés.
Serrés. Serrés Serrés.

Au fond.
Au fond.
Du grand secret.
De la vie.

Ils te disent où aller.
Où aller.
Et je me rends.

Je me rends.
Dans un nouveau monde.
Où les portes bâillent.

De désir. De plaisir.
De désir. De plaisir.

De plaisir.

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17. Le chant de Musta

ILS CHANTAIENT DEVANT !

Mes frères, le beau Djemel et Ali le gentil.
Le deuxième jour. A la recherche d’un abri.
Pour manger.

Warda échangeait. Discutait. Bavardait.
Warda... Me délaissait.
Ses compagnons de vagabondage
portaient de drôles de noms de voyage :
Double Tête, Petite Lune et Orphéo.

Nous étions dix en tout.
Cinq hommes, deux femmes. Et trois dromadaires.

- Musta ! Musta…
- Quoi, Lazarek ?
- Je suis fatigué, assez marcher…
- Mais, non, tu n’es pas fatigué…
- Mustapha !
Comment tu peux savoir à ma place
si je suis fatigué ou non ?
- Tu n’es pas fatigué, Lazarek !
Tu es fort. Tu peux continuer.
- Non, je ne peux pas !
Je veux m’arrêter, Musta… Juste un peu.
- Mais c’est pas moi, Lazarek !
C’est Ali et Djemel qui décident aujourd’hui…
- M’en fous… Dis-leur, Musta…

Je veux m’arrêter... Maintenant !
Maintenant, j’ai dit ! Nom d’un dromadaire blanc !
- Attends un peu, Lazarek ! Attends…
- Si on s’arrête pas, je jette les couvertures,
les gamelles… Les sacs !
Et les réserves d’eau !

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34


Le front de Lazarek était celui d’un peuple
déprimé qui ne s’autorise pas à désobéir.
Si aujourd’hui, il désobéissait…
Ça voulait dire… Ça voulait dire…
Qu’il était possible de désobéir ! Encore possible de désobéir.

- Tes histoires, c’est ça qui me fatigue Musta !
Je ne veux plus parler de cette Warda…
C’est pas une femme pour toi. Je te dis. Pas une femme pour toi !
- T’es jaloux ou quoi ?
Elle vous rend tous fous, ma Warda…
- N’importe quoi ! Musta !
- Et puis, qu’est-ce que tu sais ?
De la femme qu’il me faut ?
- Je le sais, Musta, il te faut une femme arabe,
ou une berbère, une femme de chez nous.
Avec des yeux, un nez, une… Bouche ! Qui chante pour toi…
- Non, non… Naham !
Pas de femme avec une bouche… Qui n’embrasse pas !
Trop de choses que les femmes d’ici ne font pas...
Comme les femmes de là-bas !
- Comment être sûr de ça, Musta Ben Mansour ?
- C’est interdit ici… Trop d’interdits ici…
- Ici ? En Tunisie ? Ou ici, dans le désert ?
- Tu me tues, Lazarek. C’est pareil…
- Non, Musta, tu sais bien que c’est pas pareil…
Dans le désert, les pensées sont libres…. Les idées avancent…
- Oui, Lazarek, mais le village n’est pas loin.
Et on ne fait pas ce qu’on veut, au village…
Tu le sais ? Lazarek ? Tu le sais ou tu le sais pas ?
- Bien sûr que je le sais… Musta ! Bien sûr que je le sais !
- Mais si tu crois que les gens d’ailleurs sont
meilleurs parce qu’ils viennent d’ailleurs !
Je ne suis pas d’accord !

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35


- Peut-être ils ne valent pas mieux.
Mais au moins ils apportent le changement.
Et moi je veux…
- Tu veux du changement maintenant ?
- Oui, je veux du changement, Lazarek !
Ici on pense que si une habitude est ancienne...
Elle est bonne ! Moi, je pense que....
C’est pas parce qu’ils sont nombreux à penser ça…
Qu’ils ont raison ! Non ! Lazarek !
Ils n’ont pas raison !
Cette phrase sortie de ma bouche.
Je me suis demandé qui avait pu la dire.
Cette phrase-là, elle était bien de moi…
Et pourtant, je ne la reconnaissais pas.
Elle sentait le neuf. Elle sentait la mer.
Elle sentait mon amour pour Warda.
- Si t’es si fort, toi Musta, mon frère…
Pourquoi tu n’as rien fait pour bousculer tout ça ?
Toi qui laisses tes soeurs te servir !
Se marier avec des maris qu’elles n’ont pas choisis !
Toi qui laisse ta vieille mère traîner sa carcasse aux
douze grossesses ! Et aux sécheresses non désirées...
- Ca me fait mal comment tu parles Lazarek.
Moi, j’ai pas choisi d’être né ici !
Pas plus que mes soeurs, mes frères, mon père, ma
mère… Pas plus que toi, mon ami…
Je suis prisonnier comme toi.
Aussi prisonnier que toi !
Un vulgaire dromadaire ! Je veux changer !
Oui ! Je le veux !
Mais je peux pas faire tout ! Et pas tout seul…
Ecoute-moi, Lazarek… Je ne changerai pas tout.
Mais ce que je ferai ! Parole d’homme et de Terrien ! Je le ferai bien !

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Lazarek s’était arrêté de marcher.
Et de parler.
Je ne voulais pas qu’il m’abandonne.
Sur le chemin.

- C’est bien de parler, Musta.
D’essayer au moins.
Prouve-moi que tu dis est vrai et je te suivrai !
Mais s’il te plaît !
Arrête de me traiter de vulgaire…
Dromadaire…

Lazarek n’était pas un « vulgaire dromadaire ».
Et je voulais prouver à quel point je le respectais.
Lui prouver tout ce qu’il voulait.
Surtout prouver que Warda pouvait m’aimer.
Pour ce que j’étais.
Et pour ce que je n’étais pas.
Pas encore.
J’étais tellement sûr qu’elle m’aimerait.
Qu’elle m’aimait déjà sans le savoir.
Oui elle m’aimerait !
Elle chanterait pour moi !
Bientôt !

L’oreille dressée de Lazarek finirait bien.
Par l’entendre...
Je souriais…

«Ranili ! Chouaï, chouaï…
Ranali… Chouaï, chouaï…»
Chante, Lazarek !
Chante pour moi !

Chante un peu !
Chante !
Chante !

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18. Le chant de l’Étrangère

J’AI OUBLIÉ LA ROUTE

J’ai oublié la marche.
J’ai oublié le doute
Et la tâche de vin rouge
Sur le mur blanc.

J’ai oublié les mots
J’ai oublié le temps.

Mais je n’ai pas oublié l’enseignement
Des chameliers.

Ni la chanson
Talon chemin
Née sous les pas
Du petit matin.

« Talon – Chemin…
Talon – chemin…
Les fiancés.
Du petit matin
Les fiancés.
De l’après-demain.
Les fiancés…
De l’autrement dit…
Les fiancés…
Du grand vent. Du soir !

Talon-chemin, 1, 2, 3, 4
Talon, chemin, 1, 2, 3, 4
Talon-chemin,1, 2, 3, 4

Talon-chemin»

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19. Le chant de Musta

DANS LE DÉSERT, ON N’EST JAMAIS SEUL.

Les mouches suivent les hommes. Partout…
Et les dromadaires aussi.

Lazarek pourrait en parler des heures.
C’est son escorte préférée.

Warda essayait de les chasser, au début.
Comme moi.

Je veux dire, comme moi.
Elle essayait de me chasser…
Et puis après, elle n’a plus essayé.

Le troisième jour à midi, après le repas,
Warda m’a parlé. Elle a chuchoté un truc bizarre.

- Si la température est bonne… Elles prendront
un bain dans l’amer ! Ou le sucré…
Je ne comprenais pas toujours ce qu’elle disait.
Il faut dire que je comprenais ce que je voulais.
- Les mouches, Musta ! Les mouches !!!
Elles vont se baigner dans le thé… Le thé !
Que tu viens de faire…
Merci Mustapha, pour le thé ! Héhé !
- Zeben ?
- Oui, Zé… Zében… Les mouches noires !

J’ai répété comme à l’école : Zeben… « Theben»...
Le « ze » arabe ressemble au « the » anglais…
Ma langue cramoisie essayait d’expliquer.
Je la sortais. Je la rentrais.
Warda la suivait des yeux…
Je regardais la sienne, s’avancer, s’appliquer…

A faire sauter le verrou de sa bouche.
En rougissant.

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Et tu roulais. Roulais, roulais…
Salive.
Sur le palet de ma langue.

Warda ravissante,
Me ravissait, me ravissait…
Son regard bleu mûre,
Ravissait ma langue rouge framboisier.
Cela aurait pu durer longtemps,
Si Lazarek ne s’était pas mis à déblatérer.
En réveillant tout le monde !
Ou presque…
Double tête, Petite Lune
Et Orphéo…
Drapés de leur sieste
Sans ombre et sans combat.

Abdoulah !


20. Le chant de l’Étrangère

JE NE T’ÉCRIS PAS.
JE SUIS FATIGUÉE.

Bonne nuit, mon amour !
Mon ami…
Envie de m’étendre…
Ce soir

Dans les draps des dunes.
Et les bras du ciel.

Maintenant.

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21. Le chant de Musta

- TU AS DES FRÈRES, DES SOEURS MUSTA ?
-
m’a demandé Warda le quatrième jour.
- Oui, oui beaucoup ! Warda !
J’ai beaucoup de frères, de soeurs.
Et ma famille !
Elle est TRÈS méchante !!!
J’avais froncé les sourcils.
Ca l’avait fait rire, Warda.
Et puis elle m’avait demandé mon âge
et le nom de maman…

- Aïcha… Aïcha…
C’est un joli prénom, Aïcha…
Moi, je n’ai pas eu de frères et soeurs…
Mais peut-être que c’est pas important.
C’est comme l’âge que j’ai, l’âge que tu as…
Peut-être que ce n’est pas si important…
Je lui avais offert des dattes.
TTTTTT…

Elle m’avait proposé des amandes.
En souriant.
Mes longues mains n’avaient presque pas tremblé.
Non, mes mains longues n’avaient pas tremblé
quand Warda a demandé si j’avais une fiancée.
Elles s’étaient mises à frapper pour elle
la mesure irraisonnée
de ma chanson préférée…

« Ranili… Chouaiii, chouaiii, Ranili ! »

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22. Le chant de l’Étrangère

MISSION ACCOMPLIE.

Je ne sais plus quel jour on est.
Un mardi. Un jeudi…
Peut-être un mercredi ?
Warda est assise
Entre les hommes qui battent batterie
De cuisine.
Belle cuisine.

Le feu fait tomber la nuit
Sur les animaux couchés.
Et les parfums du vent.
Le vent…
Musta fait le pain. Ali la chorba.
Djemel fait le thé.
Et Warda les regarde.

Je ne comprends pas les mots
Qui courent de l’un à l’autre.
Mais je comprends les gestes
Et la grâce. Et la classe.
Et la promesse.
Et la caresse.
Rousse.
De la lune.

Je me souviens d’avoir à peine.
Osé. Te regarder.

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Le jour où je t’ai rencontré...
Je me souviens
Ton bras réglisse
Danse à mes côtés.

Je me souviens
Je ne le touche pas.
Ou alors par accident.
Juste par accident.
Un doux accident.

Tu ne sais pas ce que tu me fais.
Tu ne sais pas ce que tu me fais.

La lune est fière. La table est mise.
Tu fesses le banc. Où je suis assise.
Tu ne sais pas…
Ce que tu me fais.

Tes mains galopent
Tu enveloppes
Ma peau tambour.
Mon ventre est sourd
De trop se tendre…
Sous le soleil

De trop t’attendre. De trop se tendre.
De trop t’attendre…

Tu ne sais pas.
Ce que tu me fais.

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23. Le chant de Musta

QUAND JE NE DORS PAS...

J’aime caresser Lazarek.
Bras de soie. Sur peau de laine.

- Lazarek ?
- UNMMM ?
- Tu dors Lazarek ?
- UNMMM !
- Tu dors, évidemment, tu dors…
- Oui, je dors…
Tous dormaient. Lazarek dormait.
Les autres dromadaires dormaient.
En rond autour du camp, dans leurs nids de plumes,
Double Tête, Orphéo, Warda et Petite Lune dormaient.
- T’as entendu ? Lazarek ? T’as entendu comme j’ai bien joué ?
Et chanté ce soir ? Ranili… Chouaïa… Ranili…
Chante… Chante un peu pour moi..
- UNMMM !
Pourquoi tu me réveilles tout le temps, Musta ?
Pour ça, tu as un vrai talent…
- Toi, tu m’écoutes jamais… Warda, elle a chanté.
C’est important… Warda, elle a chanté avec moi !
- Je suis très content pour toi… Très content,
Musta, mais laisse-moi dormir maintenant !
Lazarek dormait. Moi Mustapha, je rêvais.
- Tu crois qu’elle m’aime bien ? Qu’elle m’aime un peu ?
- Un peu, oui… Mais pas comme toi, Musta…
On en parle demain, si tu veux…
- Comment tu peux savoir ça, Lazarek ?
On n’est même pas à la moitié de notre marche…
Rien n’est dit encore, Inch Allah !
- Inch Allah, Musta ! Je dors…

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- Et tu sais quel âge elle a ? Lazarek ? Tu sais quel âge elle a, Warda ?
Tu devineras jamais ! L’âge de ma soeur Meriem.
Celle qui s’est mariée, il y a deux ans.
Quand j’ai commencé à construire ma maison…
Ce n’est pas si vieux que ça n’est-ce pas ?
Lazarek avait détourné la tête. Vers la lune embrumée. Qui grelottait.
Cette fois je l’avais réveillé. Ce n’était pas délicat de ma part.
Et je persuadais que ça ne le dérangeait pas. Au fond.
C’est pourquoi j’avais continué à parler le nez bouché.
- Je sais ce que tu penses… Je devais être marié, moi aussi…
- Oui, c’est vrai Musta, elle était bien, Samira !
- Oui. Elle était gentille, Samira…
- Et elle était jolie aussi…
- Oui. Elle était jolie aussi…
Mais je ne l’ai jamais rêvée aussi fort que Warda…
- Et l’Espagnole
- Quoi, l’Espagnole ?
- Bah… tu sais bien Musta, l’Espagnole ?
- Lazarek ! C’est fini, l’Espagnole…
- T’en avais rêvé de l’Espagnole… Pourtant !
- Oui, mais c’est pas pareil…
- Si, c’est pareil, Musta.
A chaque fois, tu abîmes tes rêves, tu…
- Peut-être oui ou peut-être non…Lazarek…
Mais Warda… Warda… C’est plus fort que ça !
- Plus fort que quoi, Musta ?
- Warda, c’est caramel… Chocolat…
- Caramel ? Chocolat ?
- Warda, c’est… Warda…
- Et Musta, c’est fada…
- Non, Musta, c’est tais-toi !
- Oui, oui, ça me va très bien. Je te souhaite. Une très bonne nuit.
Mon cher Mustapha…

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24. Le chant de l’Étrangère

SOUS LA GRANDE ÉTOILE
ET LES OURSES FILANTES

Je m’endors mon amour.
Je m’endors.
Je m’endors
Pas envie
De faire un voeu.
Pas besoin
De faire un voeu.

RIEN.

Rien ne me manque.
J’ai tout ici et là-bas.
Même le désir que j’ai de toi.
Même le désir que j’ai de toi.

Mon ventre
Est un pain rond du désert.
Sorti tout chaud
De tes bras.

Je m’endors
La main dans la mie.
Et l’odeur unique de l’oubli.

L’odeur unique de l’oubli.
L’odeur unique de l’oubli.

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Les documents de ce site internet sont la propriété de LA MAISON DU PASSAGE et de Nathalie Thézame DOUTRELEAU, textes et images. Conception : Thézame. Mars 2011 (2nde édition après la Révolution de Jasmin)