WARDA !
ou la voix de l’autre

     

 

LE DÉSERT EST BEAU, NE MENT PAS, IL EST PROPRE.

Théodore Monod

Aux enfants de la désobéissance de Tunisie et d'ailleurs,

A Mohamed Bouazizi...

A Laka ! Où qu’elle soit !

       


             

 

Dans les prisons...
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Table des matières
Mercis

Prologue

Sales petits
voleurs
de bonheur !

Talonchemin

Zib !Zoub zoub, zoub !

La vie est belle ! Mais je la connais...

La porte qui t'a vue venir

Thézame
4 ème de couv
   

 

                           
           

 

 

 

 


Chapitre V
La porte
qui t’a vue venir

-----------------------------------------------------------------------

49. Le chant de Musta

LES RAYONS DU SOLEIL PÉDALENT.

Dans le désert.
A vide. Ce soir.
Comme hier.
Et demain.
Après-demain...

Je ne parlerai plus de Warda.
Ni du vide qu’elle me causa.
Ou alors après demain...

Je parlerai de Warda
Et du grand air qu’elle m’apporta.
Une chanson !
Qui n’appartient qu’à moi !

Parler de Warda
Ne deviendra pas une habitude.
Ce sera plus qu’une habitude…
Ce sera, ce sera !

Un art de vivre.
A moi !

Moi qui ne vis plus. Moi !
Qui n’ai plus envie de parler.
Qui n’ai plus envie d’exister.
Qu’à travers le vide.
Qui me nourrit.

Vertige fenêtre. Cachot humide.
Remplit mon être.
De sa lumière insolente.

A grand bruit.


80

----------------------------------------------------------------------


50. Le chant de l’Étrangère


SAHA HAMMAN !


Saha amour !
Que le hammam te donne la force !
J’entends le cri des femmes.
Qui s’ébrouent. À la source chaude.
De leurs habitudes.

Pas facile de renverser une habitude.
Pas facile de changer.
Surtout quand ça fait longtemps que ça dure.

Mais ce n’est pas parce que ça fait longtemps
Que ça dure, dure, dure…
Que c’est bon. Que c’est bien.

Enfin, je crois. Oui, je le crois.

Saha hammam !
Saha la marche vers autre chose.
Autrement.

Nous sommes en l’an 2000 ou en 1419
Et le soleil se couche au fond du ciel.
Comme à chaque fois qu’un voyage dans l’espace
Est aussi un voyage dans les gens
Un voyage dans le temps.

L’horizon s’allume quand le ciel s’éteint.

On sait toujours la valeur de ce que l’on perd
Au moment du départ.
Je pars. Je rentre enfin.
Demain.

-----------------------------------------------------------------------

81


51. Le chant de Musta

JE NE SAIS PLUS QUEL JOUR ON EST.


Aujourd’hui.
A peine l’année.
1428 ou 2010…
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Quel jour on est.

Depuis que ces hommes m’ont enfermé.
Derrière cette porte.
Sale et vile.

Il y a dix jours. dix mois, dix ans…
Peut-être.

La porte de la prison.
L’autre porte du désert.
Loin de la porte de ma maison.
Que je ne finis pas.
De ne pas finir.

Celle qui a vu entrer et sortir Warda,
Souvent…

Celle qui a vu venir Warda.
Celle qui a vu partir Warda.
Celle qui a vu venir Warda.

Et je ne fais plus que penser à ça.
La porte qui a vu venir Warda.
Je ne vais pas pleurer. Non…

Mais peut-être que si. Si peut-être que si.
Personne n’en saura rien…

Pas même le gardien.

-----------------------------------------------------------------------

82


Car je n’ai pas peur d’être petit.
Et de pleurer si j’ai envie.
Je peux grandir à tout moment.
Comme avec toi Warda.
Comme avec toi.

Je n’avais pas honte d’entrer en toi…
Quand Zobi était petit…
Tout doux, tout mou quand il avait trop envie.
Ou plus envie du tout…
Je n’avais plus honte à la fin…

Je disais :
« Viens sur moi, Habi, viens sur moi ».
Comme tu m’as appris.
J’entrais petit. Je grandissais.
Dans ton berceau. Je m’écrasais.

Plus je venais. Plus je t‘aimais…
Tu regardais. Je grandissais.
Je grandissais vite… Vite !

Et puis je rayonnais lentement.
Lentement, lentement.
Dans l’onde ovale de ton plaisir de femme.

J’étais l’homme qu’il te faut.
Pour t’attendre. Et te comprendre…
On prenait le temps qu’il faut.
Pour gémir… Pour hennir…

Et pour rire. Rire !

Ce que j’aimais rire avec toi, Warda !
Et boire le thé, caramel, chocolat…

Le thé caramel, chocolat…
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

-----------------------------------------------------------------------

83

52. Le chant de l’Étrangère


DANS LE TAXI QUI ME RAMÈNE…

À l’aéroport, Je chante « à la claire fontaineuh… ».
Va savoir pourquoi ? Mon amour, ma vie !

Saha Fontaine !
Peut-être parce que j’ai trouvé ma source ici.
Dans un pays où l’eau est rare.

A la main, j’ai gardé le verre du dernier thé caramel
Bu avec Musta, Ali et Djemel. Vide.
Il me faut dix minutes pour m’en apercevoir…
A l’allure où on roule, ça doit faire des kilomètres
Que mon corps s’est figé.

Un sanglot trempe les pieds de mon coeur caillou.
Je connais bien cette émotion-là.
Une saveur de coucher de soleil
Qui rayonne aux coins des yeux,
Désarmée par la beauté du jour qui s’enfuit.

Le sanglot du départ.
L’appel du retour.

Je ne vais pas pleurer. Non…
Mais peut-être que si. Si peut-être que si.
Personne n’en saura rien.
Pas même le destin.
Je suis heureuse de rentrer à la maison.

Mais comment oublier les bouquets de roses...
Qui surgissent du désert ?
De gens que l’on sent proches et si différents ?

De ces gens qui donnent tout.
Quand ils n’ont rien.

-----------------------------------------------------------------------

84


Maman Aïcha et Cecilia. Mohamed,
l’autre Mohamed. Edhi, Lamin, Ali-moustache.
La petite Zazia. Et Azizza… Zora la farouche,
Zefira la douce, Hannia, Meriem, Messaouda.

Rachid, l’immobile. Medhi, le tendre…
Saïd, le rebelle. Lazarek, le fidèle…
Et puis Musta, Musta le Sahara !

Les palmiers croulent sous les dattes.
Et le boulevard de l’environnement.
Sous les portraits du président.
Sourire séché. Dictature douceâtre.
Jardins blessés.

Mobylettes gazolinantes hurlent leur révolte.
A quand le plein d’effervescence ?
Maisons en construction attendent la femme. De leur vie.
Petits coqs chantent en vain toute la journée.
Sans réveiller personne…

Double Tête dort, Petite Lune dort, Orphéo dort,
Ali dort, Djemel dort, Lazarek dort. On ne sait où…

Seuls Musta dort peu et Warda ne dort pas…

Peut-être qu’un jour comme aujourd’hui
Quand elle aura fini de courir
Dans les courants d’air
De l’insouciance

La petite Fadoua lèvera le poingdans la rue,
Fadoua grandira. Révolution grondera.

Passionaria s’éveillera.

Ou pas.

-----------------------------------------------------------------------

85


53. Le chant de Musta


L’ART DE VIVRE, L’ART D’AIMER…


Avec ou sans Warda…
Avec Lazarek, on a parlé.
Parlé, parlé. Reparlé. Rereparlé de ça…
Je me souviens de tout. Je me souviens de ça.

- Tu vois, Lazarek, je ne sais pas aimer à moitié.
Comme eux, ils aiment là-bas.
- Mais ils sont libres, « eux »…
Les hommes et les femmes de là-bas.
Libres de choisir leur vie…
- Je me croyais libre, Lazarek, grâce à Warda.
Mais Warda Lazarek, est plus libre que moi.
Warda est plus libre que moi…
- Oui Musta, mais elle n’a pas moins peur que toi !
Sois sûr de ça...
- Comment je peux être sûr de ça, Lazarek ?
- J’en suis sûr, c’est comme ça !
- Aïwa, Lazarek ! Moi comme toi, Lazarek !
Moi, Mustapha Ben Mansour,
je veux porter sur mon corps les empreintes de
l’amour, de la vie et même de la peur… Jusqu’à ma mort.
- Jusqu’à ta mort ? Musta ! Jusqu’à ta mort ?
- Inch Allah !
Car je ne veux pas avoir peur de la peur…
- Inch Allah ! Mustapha !

Novembre s’en allait. Le ramadan s’approchait.
C’est chez nous une période de privation.
Et de grand recueillement.

Je savais que j’allais me mettre à prier souvent.
Moi qui ne prie jamais. Ni dieu. Ni déesse.
Sauf pendant le ramadan.

-----------------------------------------------------------------------

86


54. Le chant de l’Étrangère


A PARIS, IL Y A NOVEMBRE ET LE FROID…


Et le XXIème siècle qui commence.
Le froid éveille les consciences qui croient tout savoir…
Saha froid ! Mais le froid réveille-il mieux
les consciences que la moiteur du hammam ?
Pas sûr. Rien n’est moins sûr.


55. Le chant de Musta

POURQUOI SUIS-JE ENFERMÉ AUJOURD’HUI ?


Pourquoi suis-je condamné à l’oubli ?

L’oubli est un luxe que seuls les gens qui savent

qu’on ne les oubliera pas, peuvent se permettre...
J’avais rêvé pourtant. Tant rêvé d’autre chose.

- Lazarek ! J’ai trouvé !
Je veux devenir chamelier-poète-reporter !
- Chamelier-poète-reporter ! Dans le désert ?
- Oui, dans le désert. Car j’ai encore des années à
passer avec toi dans le désert.
Beaucoup d’années… Avec des marcheurs…
Des Français, des Anglais, des Allemands, des
Espagnols, des Grecs, des Turcs, des Polonais !
Des Japonais ! Et des...Tunisiens !
- Oui, Musta, pourquoi pas des Tunisiens !
Ca voudrait dire qu’on est devenus riches ! Riches d’argent, je veux dire !
- Au début, Lazarek, on restera dans
notre Sahara… Mais après… on ira, on ira !
- Au Canada ! A Brazilia ! A l’opéra !
- Que tu es con, mon frère…
- Souviens-toi de ce que disait Warda :

« Je connais deux façons de voyager... Soit tu fais le tour du grand monde.

Soit tu laisses le monde faire un petit tour chez toi… »

-----------------------------------------------------------------------

87


- Elle t’a dit ça, Lazarek ? Elle te l’a dit à toi aussi ?
- Elle me l’a dit à moi aussi !
Sidi Musta-chamelier-pouet-pouet-reporter !
- Ca va, Lazarek… Ça va !
- Qu’est-ce que tu vas faire, Musta Ben Mansour ?
- D’abord, je vais écrire des chansons, de la poésie !
Pour tout le monde ! Tout le monde entendra les chansons de Mustapha Ben Mansour !

Le monde chantera les mots de Musta l’insoumis !

Je chanterai l’amour ! La liberté ! Pour celles et ceux qui n’osent même pas oser…
Lazarek s’était mis à rêver tout haut.
Je me souviens de combien il rêvait, comme moi.
C’était beau à voir. C’était fort comment il savait s’y prendre.

Pour me toucher, me donner du partage, me donner du courage.

- C’est une sacrée bonne idée, ça, Musta…

Et qui sait, où elle est, où qu’elle soit, peut-être qu’un jour elle entendra tes chansons, Warda ?
- C’est la première fois, Lazarek !
Que je t’entends dire une parole douce pour Warda…
- Non, tu as mal écouté, tu ne m’écoutes pas ! Moi
aussi, je l’aime, Warda… Qu’est-ce que tu crois ?
- Moi, je ne crois rien. J’avais l’impression que tu
rejetais tout ce qui pouvait venir d’elle…
- C’est pas ça. J’étais méfiant. D’habitude, les étrangers, ils prennent plein de choses sans te demander.

Y compris de l’amour… Mais c’est encore pire quand ils donnent !

Parce que, quand ils s’en vont, vous êtes toujours trop tristes, vous les hommes d’ici…

Je voulais que tu ne sois pas triste, Musta. Car je savais qu’elle ne resterait pas…
- Bien sûr je suis triste, Lazarek. Mais pas aussi triste que ça !
Peut-être oui. Peut-être non !
Je suis triste mais son amour, à Warda, il n’a pas
repris ce qu’il a donné. Ni oublié ce qu’il a réveillé.

Je savais qu’il fallait vivre avec ça...Hier. Maintenant.
Et demain. Et toujours. Pour moi. Ma famille. Et
Lazarek-le-grand. Qui est resté aussi petit que moi.

-----------------------------------------------------------------------
88


56. Le chant de l’Étrangère


AVEC LA LUMIÈRE DU JOUR...

Les arbres chauves aux corps de terre
Ont retrouvé leur chevelure, mon amour.

L’ombre de Musta poursuit sa course dans le désert.
Sur l’île aux seins blancs une dame caméléon
Ouvre des yeux
Qui ne changent toujours pas de couleur.

Une main dorée sur le coeur,
Je regarde une dernière fois les palmiers en prière.
Au revoir, beau pays.
La chasse à la gazelle est terminée.
La gazelle vole dans les nuages
Aux joues de neige.

Sucrées.

Le ciel est bleu. Encore un peu.
Malgré novembre et le vingt et unième siècle.

Deux heures d’avion et je serai à Paris.
Femme papillon clouée dans tes bras.

Un bébé pleure dans la cabine.
Chariot de boîtes de parfum. Et bouteilles d’alcool.
Dorures cartonnées, plastifiées par paquets.
Bien pliées.

Envie de vomir.
Tourista sans doute.
Ou trop plein de je ne sais quoi

-----------------------------------------------------------------------

89

57. Le chant de Musta

WARDA !

Mon paysage d’aujourd’hui
N’est pas ton paysage d’hier.
Ton paysage de demain
Ne sera pas le mien.
Avec toi.

J’ai compris qu’on pouvait aimer très fort…
Mais pas tout le monde en même temps.
Mais très, très fort au même instant.
Je te remercie… Comme tu m’as remercié aussi…
« D’avoir détourné le cours tranquille de cette nuit
Où le marchand de sable avait tout renversé à côté. »

Tu avais appelé ça...
« L’accident ».

Accident de désert,
Accident de dromadaire ?
Accident de vie,
Accident de parcours ?
Accident de puits,
Accident d’amour ?

Etait-ce vraiment un accident ?
Pour moi, ce n’en était pas un.

Je me souviens du chant amusé de Lazarek
Quand tu t’étais levée toute ébouriffée.

Avec tes beaux yeux.
Tout bleus.
Pour la journée.

Pour l’éternité.

-----------------------------------------------------------------------
90


58. Le chant de l’Étrangère

DANS QUELQUES SECONDES...

Mon amour, ma lumière
Nous allons aparisianiser.

J’entends la France
Désobéissance.

De Voltaire à Prévert.

J’entends le chant sourd des peuples
Qui souffrent sans oser le savoir.
Et de ceux qui ne savent pas oser.

Comment comprendre « ailleurs »
Avec des lunettes estampillées
« France d’aujourd’hui » ?
J’ai le devoir de savoir.
Et de faire savoir.
Qu’il existe d’autres réalités
Et des mondes meilleurs à inventer.

J’entends mes voisins d’avion qui parlent
D’un accident… Quel accident ?

Mon amour,
Je suis allée te chercher
Où tu n’étais pas.

Je te reviens.
Avec ce que je n’étais pas allée chercher.

L’eau de tes yeux.
L’eau de tes yeux.

-----------------------------------------------------------------------

91


59. Le chant de Musta

J’AIMAIS. J’AIME. J’AIMERAI.

J’aimais. J’aime. J’aimerai.
J’aime faire l’amour les yeux ouverts.
J’aime faire l’amour les yeux fermés.

On ne sait jamais ce qui se cache derrière.
La porte des paupières. Fermées.

Faire l’amour pour. Faire l’amour avec.
Faire l’amour contre.
Ou tout contre.
Faire l’amour. L’imaginer…

Souvent, nous avons fait l’amour ensemble.
Sans même entrer en toi, Warda. Chez toi.

Tu m’as appris à mourir de désir.
Et même à jouir. Juste en dansant.
Juste en fêtant la valse du temps.

Dans la tête… Sans les mains !
Le plaisir est toujours venu.

Dans la douceur et la stupeur.
De tes yeux en paix.
De mes yeux en paix

En paix. Toujours en paix.
Comme aujourd’hui.

Devant les hommes qui croient pouvoir te juger.
Qui croient pouvoir me juger.
Et qui viendront me chercher.

Pour me libérer. A nouveau.
Ou pour me tuer. Bientôt.

Ils ne prendront pas ma paix, Warda.
Ils ne me prendront pas.

Inch Allah ! Inch Warda.

-----------------------------------------------------------------------

92


60. Le chant de l’Étrangère

CA Y EST JE LE VOIS !

Voilà, mon amour ! Voilà !
Ce ciel est gris,
Mais c’est le ciel de Paris !
Ce ciel est gris,
Mais c’est le ciel de Paris !

Mon front rougi.
Dilué.
Ravi.
Plonge dans la braise entêtée
Du soleil muet.
Farine de nuages bien fraîche.
Nuages nourris au bon grain.

Ce ciel est gris,
Mais c’est le ciel de Paris !

Ce vent est froid
Mais c’est le vent de chez moi !
Dans notre rue. Je pose nue.

Les yeux fermés. Seule.
Et je me souviens.
Je me souviens une dernière fois…
De Warda. Et de Musta.
Je me souviens.
De Mustapha Ben Mansour.

-----------------------------------------------------------------------

93


Debout.
Elle se tenait debout, Warda.
Dans l’entrée de ta maison, Musta.
Sac sur le dos. Odeur de thé.
Clés à la main. Gorge nouée.

Dans l’impossibilité de te quitter.
Dans l’impossibilité de te quitter.

Debout.
A l’entendre frapper.
Frapper. Frapper. Frapper.
A la porte de son désir.

Debout.
Ton sexe chaud. Une dernière fois…
Venu boire l’eau. Remplir la source.
Faire la grande ourse.

Debout.
Ses jambes écartelées.

Debout.
Te tournaient le dos.
A la porte et à l’orée. La rose à la rosée.
De ta maison.

Dans l’impossibilité de te quitter.
Dans l’impossibilité de te quitter.

Sans dire mot. Sans se retourner.
Elle a posé le sac, Warda. Levé les bras. Warda.
Posé les clés. Laissé entrer. Le frais, le chaud.

Entre ses reins. Détachés.
Et ses jambes.

Lassées d’attacher.
De l’importance à la décence.

-----------------------------------------------------------------------

94

Ton sexe lent d’homme océan.
Doucement d’abord. Au bord du corps.
Doucement encore. Profond, plus fort.

Entre ses reins, un danseur brun.
Qui va et vient.

Entre ses jambes, un prisonnier
Libre de fuir ou de nager.
D’une rive à l’autre.

Sur l’autre voix. La voix de l’autre.
Une fois. Deux fois. La voix de l’autre.
Cent fois la voix. Le cri de l’autre.

Encore une fois. La foi en l’autre.

Et dans la joie. Des sanguines.
Et dans le dos. Des pluies fines.
Et dans le cou. De l’oreille.
Et dans le sel. Ensablé.
Et dans le sable. Mouillé.

Poids des étoiles. Odeur de clé.
Danse végétale. Morsure voilée.
Sur les épaules.

Une première fois. Musta.
Une dernière fois. Warda.

Stupeur blanche
Dans les yeux. Près du coeur.
Splendeur bleue.
Sous le feu. Des saveurs.

Dans la rue angora
Sur mes seins, sous mes pas.
Sueur respire. Chaleur aspire.

La paix du soleil. La paix du soleil.

-----------------------------------------------------------------------

95

61. Le chant de Warda

TU NE VOULAIS PAS ME LAISSER PARTIR.

Musta !
Près de la porte qui m’a vue venir.
Je suis partie. Pourtant.
Enfin partie. Lentement.

Sans me retourner.

Partie ce jour-là. Je suis. Oui.

Mais Warda. Elle me l’a dit.
Elle est restée.

Restée avec toi.
Warda.

Car Warda reste Warda.
Avec le nom que tu lui as donné.

Warda.

Et qu’elle portera.
Warda.

Toujours. Tu vois. Mustapha...

A toi Musta Ben Mansour
Qui vit en moi pour toujours.

Où que tu vives.
Où que tu meurs.
Où que tu sois.


WARDA

-----------------------------------------------------------------------

96


Epilogue

IL M’AVAIT APPELÉE «WARDA».
« Fleur » en arabe.

Mais je portais sur la peau
La couleur d’une autre terre.

J’étais venue chez lui en novembre.
A l’heure où le désert remplit
Les ampoules du temps
De la douceur…
Du vent.

Il m’avait appris à marcher pieds nus dans le sable.
Pour que je n’oublie jamais la trace que j’allais laisser.

- Warda ! Warda !
- Quoi, Musta ? Quoi ?
- Tu n’oublies rien ?
Tu n’oublies rien, tu es sûre ?
- Quoi ?
Quoi ? C’est ce que j’avais répondu le jour de mon
départ sur le seuil de sa maison.
Et puis, quand sa réponse avait rebondi
sur le sable blond, j’avais ri.

J’avais ri. Il avait dit :
- Les traces ! Tu oublies les traces…
J’avais ri. Et puis j’avais dit « Non ! »
J’avais ri. Comme si c’était « Oui »….

J’avais ri et ri encore.

Et lui aussi.
Lui aussi avait ri.


Fin

 

Paris, le 25 février 2011 (2nde version après la révolution)

-----------------------------------------------------------------------
99

     

 

 

 

                             
 

       

     

 
           

Les documents de ce site internet sont la propriété de LA MAISON DU PASSAGE et de Nathalie Thézame DOUTRELEAU, textes et images. Conception : Thézame. Mars 2011 (2nde édition après la Révolution de Jasmin)