WARDA !
ou la voix de l’autre

     

 

LE DÉSERT EST BEAU, NE MENT PAS, IL EST PROPRE.

Théodore Monod

Aux enfants de la désobéissance de Tunisie et d'ailleurs,

A Mohamed Bouazizi...

A Laka ! Où qu’elle soit !

       


             

 

Dans les prisons...
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Table des matières
Mercis

Prologue

Sales petits
voleurs
de bonheur !

Talonchemin

Zib !Zoub zoub, zoub !

La vie est belle ! Mais je la connais...

La porte qui t'a vue venir

Thézame
4 ème de couv
   

 

                           
           

 

 

 

 

Chapitre IV
La vie est belle !
Mais je la connais
...





-----------------------------------------------------------------------

37. Le chant de Musta


PARFOIS JE PENSE QUE JE N’AI PAS VÉCU...

Cette histoire.
Que rien n’est jamais arrivé dans cette vie là.
Warda n’existe pas. Elle n’a jamais existé…
Et puis parfois. Elle est devant moi.
Warda. Warda est là !
Je ne parle pas souvent de Warda.
Je préfère ne pas en parler…

Mais si je t’en parle aujourd’hui, c’est à cause du Japonais.
Celui qui est venu après le départ de Warda.
A la fin de l’année. Un Japonais...

Qu’est-ce que je disais ? Ah oui, Hiro ! Le Japonais.
C’est à cause du japonai
s… Tu vois.
Que je te parle de Warda.
J’étais parti seul avec lui. Il voulait apprendre l’arabe.
Et moi je ne parle pas le japonais.
Aussi, il me parlait en français, car il aimait la
France et les Français. Et voilà ce que ça donnait :
- Comment on dit le désert en arabe, Musta ?
- Désert, c’est « Sahara ! »

- Désert, c’est « Sahara ! »
- Et comment on dit sable ?
- Sable en arabe, c’est « ramla »…
- Et dune en arabe ?
- Dune, c’est «erg» !
- Et soleil ? Et étoile ?
- «Chem’s» ! «Najun»…
- Et fleur ? Musta ?
Fleur, comment tu dis fleur ?

Fleur... Warda. Je n’ai pas pu répondre.
Warda, je n’ai pas su répondre.

-----------------------------------------------------------------------

60


38. Le chant de l’Étrangère

OU QUE TU SOIS ET AVEC QUI...

Dans mes rêves les plus doux je suis
En train de reprendre un peu de désert
Mon bel amour, mon mari.

Quelque part pas loin. Musta fait le pain.
Et près du feu Warda se réchauffe.

Comme avant. Juste avant l’accident.
Je caresse le pelage de la terre blonde.

J’ai entendu l’autre soir que désert se dit
« mer de sable » en japonais. Littéralement.

Une mer qui monte au coeur..
Un coeur trop large où l’on nage

Sans essayer de se battre.



39. Le chant de Musta

HIRO LE JAPONAIS NE SAURA JAMAIS...

Comment on dit « fleur » en arabe.
Ce n’est pas moi qui le lui apprendrai, en tout cas…
C’est injuste sans doute. Mais qu’est-ce qui est juste ?
Dans ce monde qui réunit et qui sépare ?
Et qui enferme qui s’en empare ?
Tu le sais, toi Warda ? Tu le sais ou tu ne le sais pas ?
Quand je me souviens de toi ?

- Warda ?
- Oui, Musta ?
- Warda, tu es là ?
- Oui ! Oui, Musta ?
- Ca va ?
- Ca va ! Enti, la bès ? Et toi, ça va ?

-----------------------------------------------------------------------

61


- La bès… ça va… Ça va, Warda.
Ça va mieux maintenant.
- Tant mieux, Musta. Tant mieux…
- Mais tu sais, Warda Habi... J’ai le coeur qui s’est
arrêté de se battre quand tu m’as embrassé. Habi…
Warda avait posé sa main sur ma hanche.
Et une autre sur mon coeur. Et moi, les yeux fermés...
Je n’avais su que ne rien faire de mes bras ouverts.

Inutiles. Pesants.
Impuissants.

- Si tu pars, Warda... Je n’attendrai que toi.
- Arrête, Musta. D’abord, je ne t’ai pas embrassé.
C’est toi qui m’a embrassée !
- Il fallait bien ! Tu ne voulais pas ! Warda…
- Je voulais et je ne voulais pas…
- Pourquoi tu voulais, Warda ?
- Parce que je voulais…
- Alors pourquoi tu voulais pas ?
- Parce que je vais rentrer chez moi bientôt, là-bas…
C’est loin, chez moi…
Des gens m’attendent, chez moi…
Ma famille, mes amis... Mon... Enfin tu sais quoi...
Et toi, tu vas rester tout seul chez toi.
- Si tu pars, je n’attendrai que le jour de te reboire…
- Me re-boire ? Trop fort, Musta ! Trop fort ! Héhé !
Warda riait. J’aimais l’entendre rire.
J’aimais son rire. Je l’aimais.
- Je ne voulais pas, Musta…
Et je voulais que tu m’embrasses…

Warda s’est arrêtée de parler.
La fleur avait décidé cette fois de m’embrasser…
Sans plus rien demander.
Plus elles embrassent. Plus elles ont envie d’embrasser.

-----------------------------------------------------------------------

62


Les bouches-basour, sexes des femmes.
Les langues-zobi, sexes des hommes.

Plus on s’embrasse, plus on se connaît.
Mais plus on s’embrasse… Et moins on sait.
Qui fait l’homme. Qui fait la femme. Qui fait l’enfant.
Qui chante la chanson caramel…
Tétée universelle. TTTTTTT...

Marée jumelle.

- Si tu meurs, je mourrai de faim,
Warda, je mourrai de faim…
Elle avait fini par se fâcher.
- Si je meurs, tu vivras !
Et puis j’ai pas envie de mourir…
Pas maintenant ! Et si je pars, je pars.
Il faudra bien que je parte !
- Warda, Habi ?
- Arrête, Musta… Arrête !
Arrête de m’appeler Habi ! C’est quoi Habi ?
- Chérie ! Habi ! C’est «Chérie», ma chérie...
- Je suis fatiguée, Musta… Comme Lazarek.
Je voudrais me reposer. Un peu.
- Je vais t’emmener dans ma maison…
Mais attention, ma famille est très méchante !
- Je sais, je sais, tu me l’as déjà dit …
- Tu viens avec moi ? Dis oui, je t’en prie… Dis oui… Warda chérie !
- Non, Musta ! Non…
Elle avait l’air de plus en plus fâché.
- Tu ne peux plus dire non maintenant…
- C’est vrai, je ne peux plus rien te refuser.
- Dis-moi oui, Warda ! Dis oui ! Alors, c‘est oui ?
- D’accord, Musta. Mais je partirai quand je veux…
- Tu es libre avec moi, Warda… Tu es libre.

Warda était libre. Libre ! Comme l’air.

Et j’aimais la respirer.

-----------------------------------------------------------------------

63

 

40. Le chant de l’Étrangère

ON LÈCHE LES PLAIES DE L’AUTRE…

Quand elles ressemblent aux nôtres.
Quand elles ressemblent aux blessures
Qu’on a admises et qu’on reconnaît.
Musta et Warda savaient ça.

Sous la couverture de laine tissée,
Ils s’étaient allongés.

Prêts à soigner toutes les blessures du monde.
Parce qu’une brûlure ancienne s’était réveillée…

Entre les jambes de Warda.
Et sur le ventre de Musta.
Une blessure qui demandait
Qu’on y apporte le plus grand soin.

Le feu qui l’avait faite s’était éteint.
Mais il restait la braise.
Il restait la braise.

Au creux des mains d’un homme qui fait le pain.
Et du corps d’une femme qui avait faim.
Le pain s’était levé, lové dans la braise.
Et puis lové, levé dans la braise.

Le pain aime la braise.
Et la braise rouge aime frissonner.
Oubliant qu’elle va mourir.

Les chiens aboient. Le caramel passe.

Les bouches boivent. Une liqueur d’incendie.
Les bouches boivent. La tiédeur de la nuit.
Les bouches boivent. Les bouches boivent.

-----------------------------------------------------------------------

64


41. Le chant de Musta

DIFFICILE POUR UN HOMME DE PARLER DE CA.

De sa jouissance d’homme.
Avec Warda, j’ai joui.
D’une façon si belle et si étrange.
Que je ne saurai sûrement jamais expliquer.
Sans doute ne faut-il pas l’expliquer ?

Juste dire que jouir...
C’est différent de ce que racontent les ignorants.

J’ai joui longtemps dans les yeux de Warda.
Rien qu’en regardant bouger
le petit verrou de sa bouche.
Au début, Zobi était pressé.
Trop pressé de prendre sa fleur…
Warda, elle, ne l’était pas...

Cent nuits. Mille nuits.
Cent mille nuits je donnerais pour me fondre...
Encore dans cette nuit.
La plus longue de ma vie…

A baiser la main de celle que j’attendais.
Ses pieds, son cou, son ventre serré sur la peau...

Tendue.
De ma douleur exquise.

J’étais un vivant à la chair ferme.
Je voulais jaillir, je voulais bouger !
Je pourrais hurler encore sous l’anneau de sa chair
qui donne la mort en donnant la vie.

Je veux hurler encore ! Je vais hurler encore !
Je vais hurler dedans. Je vais hurler dehors.

En silence…

-----------------------------------------------------------------------

65


Et y penser. Y penser aussi.
Aussi longtemps que je vis.
Libérer la bouche bâillonnée de Warda.
Qui miaule sous mes doigts. Inch Allah !

Le lendemain de la huitième nuit...
Sous les yeux de Lazarek, quatre jambes d’oiseaux
s’étaient posées péniblement sur le sol.

Maigres. Perdues.

Quatre jambes s’étaient levées et mises à marcher.
Vers le village de mon enfance.
Warda m’a dit qu’elle n’oublierait… Rien !

Ni mon lait de lune noire. Qui coulait.
Sur son corps de dune blême.
Ni le chant du désert
Qui racontera notre histoire.

- Tu crois ça, toi Musta, qu’elle n’oubliera pas ?
a demandé Lazarek.
- Moi j’y crois, Lazarek, comme à la vie.
Parce qu’elle est belle…
- Inch Allah, Musta, la vie est belle…
- Aloa Elwoa… La vie est belle, la vie est belle…
- Oui, la vie est belle, Musta…
Mais tu la connais, n’est-ce pas ? Tu la connais ?
- Oui, Lazarek, la vie est belle mais je la connais.
Elle peut tout prendre, elle peut tout donner.
- Inch Allah, Musta !
- Inch Allah, grand frère…

Aloa Elwoa…
Warda, mon souffle vivant.
Warda, mon amour volant. Warda, ma vie fatiguée…
Aloa, Elwoa…

La vie est belle, ma belle !
Mais tu la connais. Tu la connais...

-----------------------------------------------------------------------

66


42. Le chant de l’Étrangère

UN PETIT GARCON VIENT S’ASSEOIR.

A mes côtés.
Les pieds dans le sable séché.
Bonjour, mon amour.
Je te présente Rachid, le neveu de Musta.
Il demande :
- C’est bien Sahara ? La bes, Madame ?
- Yesir béhi ! Yesir béhi… Sûr que c’est bien.
Quelques mouches bourdonnent
Au bout du village.
Deux dromadaires se reposent
Sous le vent capricieux.
Parmi eux, celui que Musta appelle « Lazarek ».
Depuis peu, je sais que ça veut dire bleu…
Bleu ! Un dromadaire blanc qui s’appelle bleu !
- La bes, Madame ?
- Oui, ça va ! Ça va, Rachid …
Et toi, ça va ?
- La bès !
- Alors, ça va… La bès, Rachid. La bès.

Rachid me regarde avec insistance…
On dirait qu’il veut poser une question.
Une question sur Warda, peut-être.
Comment elle va, Warda ? Si elle s’en va, Warda ?
Se décidera-t-il ? Ne se décidera-t-il pas ?
Qu’importe le qui, le comment, le quoi !
Je ne répondrai pas.

-----------------------------------------------------------------------

67


Je voudrais décrire l’écorce de ces gens qui aiment la vie.
« Aloa, Elwoa. À coup de « Inch Allah ».

Une écorce pleine et dure. Mûrie au soleil.
Au dehors.
Une écorce douce et mouillée des larmes.
Du dedans.

La chaleur leur pousse sur le front.
Et fait jaillir les plantes ensablées
De leurs pieds qui avancent.

Ici. Là-bas.

Dans les traces, les rides.
Et les pas.
De celles et ceux qui étaient là avant.

Il y a longtemps. Pour longtemps.

Je pense qu’il y a des gens tout puissants.
Tout près d’ici, très loin d’ici.
Qui ont oublié ce que c’était la vie.
Et qui donnent la mort comme on achèterait de l’eau.

Pour la jeter. Immédiatement après…
Immédiatement après.

Au fond du puits de la vérité de quelques-uns.
Pour quelques dollars seulement.

Un peu de peur, sûrement.
Et ce qu’il faut de violence et de bonne conscience
Pour dormir tranquille au paradis des nantis.

Ils ont oublié ce que c’était la vie.
Ils ont oublié ce que c’est la mort.

Ils n’ont jamais su ce que c’était l’amour…

-----------------------------------------------------------------------

68


Une petite chèvre fait en passant un pet de bouche.
Un âne pleure au loin.
Rachid toujours assis à côté de moi
Se demande ce qu’une femme comme moi peut faire
Les pieds nus dans la poussière de son village.
Toute seule derrière un cahier bleu
À grands carreaux.

Il renifle.
Mes pensées marchent.


43. Le chant de Musta

DOUBLE TÊTE, PETITE LUNE ET ORPHÉO

Sont rentrés.
Rentrés en France.
Après ma nuit avec Warda.
Sous les étoiles de Warda.

Tristes. D’être partis.
Contents. De retrouver. Leur lit !

Warda. A raté.
L’avion.
Et je l’ai emmenée. A pied.
Dans ma maison.
En construction.

Je me disais que si elle avait accepté
de m’accompagner, elle allait rester…

Peut-être... Sûrement !
D’autant que ma famille très méchante...
L’a adoptée.

Immédiatement !

-----------------------------------------------------------------------

69


Pour mes frères Ali et Djemel, c’était la fête.
La fête aussi pour Myrian, Aïcha et Cecilia.
Et pour mes frères Mohammed,
l’autre Mohammed, Edhi, Ali-moustache.
La fête !

Pour mes soeurs Hannia et Meriem, Messaouda.
La fête !

Et puis la petite Zazia et Azizza…
Zora-la farouche, Zefira-la douce…
La fête ! Et les bisous…

Comme j’étais fier devant Rachid-l’immobile,
Medhi-le-tendre et Saïd-le-rebelle !

Même Lazarek était content !
Et devant les gens de mon pays, Lazarek a dit :

- Beaucoup d’étrangers passent par ici.
Mais peu savent se faire aimer autant. !
J’étais heureux… Tellement heureux !
En connaissant mieux Warda,
j’étais sûr que j’allais me connaître mieux aussi.
Moi ! Mustapha Ben Mansour.
Prêt à tout faire : changer la vie, changer la terre !
- Warda, ici, c’est chez toi…
- Chut ! Musta, je sais. Je sais et je ne sais pas…
- C’est la première fois que tu viens mais
c’est pas la dernière. Non ce n’est pas la dernière !
- Musta, ne recommence pas !
- On achètera un dromadaire…
Tu deviendras chamelière…
- Ne dis-pas ça, Musta. Embrasse-moi. Et tais-toi…

La seule chose que Warda m’apprit alors.
On dit parfois avec la bouche... Des mots qui n’en sont pas.

Des mots qu’on ne veut pas dire.
Des mots qu’on ne sait pas dire.

-----------------------------------------------------------------------

70

44. Le chant de l’Étrangère

AUJOURD’HUI MAMAN AÏCHA EST MALADE.

Toutes les femmes se sont rassemblées à son chevet.
Autour de son lit.

Petit matelas posé à même le sol.
Respirant l’enfance du monde.
Warda a envie de pleurer.
Ca se sent. Ca se voit.

Bouche prune.
Lune noire.
Soir sans brume.
Sans étoile.

- Azma… Ecoute ! Warda !
Azma… A demandé maman Aïcha…
Warda est restée pour écouter
Ce qu’elle avait à dire.

Et moi, j’ai tout entendu.
J’ai entendu

Le cours des jours
Dans la maison
A cour carrée.

Le cours des jours
Dans la maison
A cour carrée.
Le cours des jours…

Dans la maison
Carrée.

-----------------------------------------------------------------------

71


45. Le chant de Musta

JE NE SAIS PAS. JE NE SAIS PLUS.

Combien de temps Warda est restée.
Combien de temps elle a voulu.
Rester avec moi.

A aimer ce qu’elle aimait…
A ne pas aimer ce qu’elle n’aimait pas.

L’idée de partir ou l’idée de rester avec moi…

Chaque fois que j’affirmais que telle chose était bien
ou que telle autre était mal, elle répétait :

- Comment tu peux savoir ce qui est bien, Musta ?
Ce qui est bien pour moi n’est pas forcément bien
pour toi et inversement. C’est pas pour ça que
cette chose est mal. Ce qui serait mal, ce serait de
laisser les autres penser à ta place. Enfin je crois !

Je savais qu’elle finirait par souffrir.
Comme moi. Du regard des autres…
Et que je ne serai pas capable de l’empêcher.
Au fond, je ne savais plus grand chose…
A part que je l’aimais.

Aujourd’hui, je ne sais plus rien.
Je ne veux plus rien.

Je veux sa bouche.
Je veux sa main.

Je veux sa fleur qui m’emprisonne.
Je veux la prendre et m’engloutir.

Et l’aimer encore.
Encore un peu.

Et si je peux.

-----------------------------------------------------------------------

72


La première fois qu’elle a pris mon sexe
dans sa main, Warda a hésité :

- Chouf ! Musta… Zib, zoub, zoub, zoub…
C’est un vrai ?
- Bien sûr que oui, Warda ! c’est un vrai…
Regarde… C’est un vrai !

Elle n’avait jamais vu un zobi-circoncis…
Il a fallu que je lui raconte ce qu’on présente souvent
ici comme le meilleur souvenir de la vie…
Puisque c’est un souvenir d’homme. Un vrai !
Une fierté de mâle ! Nationale !

Elle n’était pas bien fière, ma fierté nationale...
Quand j’ai commencé mon récit de petit garçon blessé.

Mais elle avait su faire, Warda.
Elle avait su la regarder et l’aimer. Et la redresser !
Ma fierté animale…

Je me souviens de ses doigts de sucre lisse.
Qui font glisser l’amour… Longtemps.
Au fond. Tout au fond du puits de vérité…
Que j’aimais chercher, que j’aimais trouver.

Je veux l’aimer encore. Je veux l’aimer, le puits.
Je veux m’enfoncer fort.
Je veux gémir ici.

Et puis chanter encore…
Et puis pleurer aussi.

Je veux l’aimer encore. Son cul de fleur mouillée,

Son cul de terre qui dort…
Son cul de terre qui mord
Que je ne verrai plus…

Je veux l’aimer couché. Je veux l’aimer debout.
Au nom des corps longs. Le long des corps fiers.

Tout au long de mes cris.
Je veux marcher avec lui.

-----------------------------------------------------------------------

73


46. Le chant de l’Étrangère

TOI QUI AIME LA VIE ET SES DÉSERTS...

Immenses.
Mon époux, ma violence

Je voudrais te dire à quoi je pense.

Je pense aux femmes papillons
Clouées sur les boutons de porte
Des maisons.

Femmes papillons.
Navires mondes.
Poussières. Tapis volant.
Plantes sauvages.
Oasis. Oasis.

Je pense aux hommes coupés
Dans les maisons
Interdites aux papillons.

Hommes sans bouton.
Délires mondes.
Poussières. Tapis volant.
Bêtes sauvages.
Sacrifice. Sacrifice.

Je pense à l’amour.
Qui coule. Circule. Ejacule.

Sans savoir vouloir.
Sans vouloir savoir.

-----------------------------------------------------------------------

74


Il m’arrive parfois de marcher sans penser à toi.
En rêvant à autre chose.

A un voyage…
A mon voyage.

Une étoile. Une révolte,
Une métamorphose.

Et tu te glisses.
Sans prévenir sous les draps du lit.
Où mes yeux clos brûlent.
De sommeil.

Tes gémissements sucent mon oreille…
Juste assez pour me bercer
Et me transpercer l’âme.
Une lame chaude
Et clouée.

A tes gémissements.
Tes hennissements.
Tendres et violents.
A en pleurer.
Pleurer.

J’entends ta haine. J’entends ta peine.
J’entends ta chair. Qui se promène.
En paix. En moi.
Au Sahara.

J’entends ta haine. J’entends ta peine.
J’entends ta chair. Qui se promène.

En moi.

-----------------------------------------------------------------------

75


47. Le chant de Musta

JE ME SENTAIS EN PAIX AVEC WARDA.

Et libre. Libre d’être moi.
Et je suis sûr que Lazarek avait fini par y croire aussi.

- Ton histoire, Musta…
Elle est pas triste, Musta. Ne sois pas déçu, mon frère.
Elle est belle ton histoire et elle restera belle…
Ta grande histoire de coeur. Ta petite histoire de cul…
- Ne ris pas, Lazarek !
Je ne suis pas un chacal comme toi…
Et puis il n’y a pas de petite histoire de cul…
Toutes les histoires ont de l’importance ! Plus que tu ne le crois…
Même la femme que tu payes, tu lui donnes de l’amour…
Mes pensées étaient si bouleversées que Lazarek
me bousculait pour m’aider à les ranger.
- Et les filles que tu baises dans les mariages ?
Si tu crois que je ne sais pas ce que vous faites,
toi et tes frères, dans les mariages.
Derrière le dos des invités.
Des invitéeeees, je devrais dire…
Alors ne viens pas me donner de leçon….
Demande à Zobi, ce qu’il en pense…
Si c’est pas une petite histoire de cul,
ta grande histoire de fleur…
- Zobi ? Tu sais ce qu’il te dit, Zobi….
Je la vois pas comme ça la vie,
je la sépare pas en deux comme ça !
Et puis, qu’est-ce que tu racontes
sur les filles dans les mariages, comme tu dis…
On leur donne du plaisir…
Qu’est-ce que tu crois ? Les femmes...
Elles ont droit au plaisir, elles aussi !

-----------------------------------------------------------------------

76


- Si, justement ! C’est interdit ! J’ai pas dit que c’était pas bien…
Mais c’est interdit dans notre beau pays…
- Eh bien, il faut que ça change !
C’est toi, toi-même qui me l’as dit ! Combien de fois, Lazarek ?
Tu te souviens de ça ? Il faut que ça change. Et ça changera ! Crois-moi !
- Bravo, mon frère ! Voilà !
C’est comme ça que je t’aime !
Content que tu aies appris à penser autrement…
- Merci, Lazarek, merci mon ami d’être là…
Quand je suis triste et découragé par ces…
- Chut, Musta ! Pas trop fort quand même !
- Il y a trop longtemps qu’on ne pense pas.
Ici au village et dans toute la Tunisie...
Longtemps qu’on n’ose pas penser, même tout bas.
Quant aux autres… Le jour où ils se mettront à penser, les barbus, les Ben Ali !

Les poules de ma mère n’auront plus qu’une dent !
- Musta, Musta ! Fais attention à toi !
- Oui, Lazarek, ne t’en fais pas !
Je ferai attention à moi. Je l’ai promis à Warda. Je garde l’espoir et la force.
Warda, elle m’a appris à penser des choses.
Des choses que je ne voyais pas…
- Je sais, Musta, je sais bien.
- Avec ma tête, avec mes mains, avec mon corps…
Des choses qui rendent libre, qui rendent beau !
De la queue au cerveau !
- Puisses-tu être aussi libre un jour...
Que tu es beau aujourd’hui, Mustapha Ben Mansour !
- Mais je suis libre, Lazarek … Oui, LIBRE !
Qu’on m’enferme si je mens ! Je suis libre comme le vent ….

Je suis libre et je suis beau ! De la queue au cerveau !

Je te l’ai dit et redit Lazarek, mon cher ami.
Hier demain et aujourd’hui !

Je suis libre, je suis beau ! De la queue... Au cerveau !

-----------------------------------------------------------------------

77


Mais quelle femme m’aidera à m’en sortir ?
Quelle femme m’aidera à m’en souvenir ?
Quelle femme vais-je aimer assez pour ça ?
Si cette femme-là, Warda...
Ce n’est pas toi.

Si cette femme-là, ce n’est pas toi.


48. Le chant de l’Étrangère

QUI SUIS-JE ?
`
Moi qui ne suis que moi ?
Qui ne suis que vous ?
Qui n’existe que par vous ?

Votre regard, votre mémoire...
Et le chemin qui va vers vous.

Toi, lui, elle, vous l’autre...
Un désir ? Un désert à l’infini ?
Une liberté, une illusion ?
De l’autre côté de la prison d’en face...

Qui êtes vous l’autre venu vers moi ?
Avec son innocence au bras ? Sa différence et sa violence ?
Et sa tendresse... Insoupçonnées ?

Morceaux de chair et de papier. Tombent du ciel...
Déchets dorés et déchirés. Montent au ciel !

Petits couteaux, petits lambeaux. Sur l’épaule !
Prête à porter, à endosser. Tous les rôles...

Le poids des corps. Et de la vie et de la mort
Et de la marche. Et de l’amour...
Qui console.

-----------------------------------------------------------------------

78

     

 

 

 

                             
 

       

     

 
           

Les documents de ce site internet sont la propriété de LA MAISON DU PASSAGE et de Nathalie Thézame DOUTRELEAU, textes et images. Conception : Thézame. Mars 2011 (2nde édition après la Révolution de Jasmin)